Gérard Lindeperg, ancien député de la Loire et membre fondateur de la Fondation Jean-Jaurès, a eu l’heureuse idée de réunir une équipe d’historiens reconnus (Christophe Bellon, Gilles Candar, Claude Latta, Jean-Philippe Madani, Denyse Riche, Jean-Michel Steiner, Christophe Tillière) pour évoquer la présence régulière de Jean Jaurès dans le département de la Loire entre 1886 et 1909, à travers une série d’articles thématiques, agrémentés de nombreuses photographies et de documents de l’époque. L’année 2014 marquera le centenaire de la mort de cette figure de l’Histoire de France.
Jean Jaurès est intervenu à dix reprises dans la Loire pour assister des grévistes ou participer à des réunions socialistes. Il a par exemple pris la parole à Rive-de-Gier les 25 et 26 février 1893 devant 1 800 métallurgistes des usines Marrel ou encore du 1er au 7 janvier 1900, invité par les mineurs qui l’ont choisi comme arbitre dans le conflit qui les oppose aux compagnies minières à Saint-Etienne. Les 13-15 février 1904, invité par le maire ouvrier Jules Ledin, passementier, syndicaliste et militant du Parti socialiste, Jaurès vient inaugurer la nouvelle bourse du travail, située cours Victor-Hugo à Saint-Etienne.
Jean Jaurès est un personnage à la fois familier et lointain. Il est né à Castres le 3 septembre 1859. Entré premier à la Rue d’Ulm, il débute sa carrière comme professeur de philosophie au lycée d’Albi de 1881 à 1883 avant d’obtenir un poste de maître de conférences à l’université de Toulouse. A 26 ans, il est élu dès le premier tour sur la liste des Républicains du Tarn et il est le benjamin de la Chambre des députés. Il siège parmi les républicains modérés (centre gauche aujourd’hui) avant de devenir socialiste quelques années plus tard. En janvier 1886, il participe à Saint-Etienne au congrès de la Fédération nationale des mineurs, animée par Michel Rondet. Adversaires politiques et partisans reconnaissent tous son talent d’orateur qui « concilie le lyrisme poétique et la rigueur de la pensée ». Ses discours sont rarement écrits à l‘avance, mais ils étaient recueillis pour être imprimés et largement diffusés.
« ON AIME BANQUETER À SAINT-ETIENNE »
Gérard Lindeperg nous apprend différentes anecdotes, notamment qu’à 27 ans « sa notoriété naissante n’a pas échappé aux Stéphanois. Après avoir rencontré les délégués mineurs, il est invité à faire une conférence au Café neuf, rue Gambetta, suivie du traditionnel banquet. On aime banqueter à Saint-Etienne et Jaurès ne boude pas les plaisirs de la table. Il a bon appétit et, après les discours, il aime se retrouver une fourchette à la main avec les amis qui l’accueillent. »
Christophe Bellon évoque aussi ses relations épiques avec un autre Stéphanois reconnu nationalement, Aristide Briand, tandis que Gilles Candar aborde sa rencontre manquée avec Benoit Malon, militant ouvrier et communard originaire du Forez. Claude Latta signe deux contributions, l’une portant sur Jaurès et les grèves de Rive-de-Gier de 1893 à 1894, l’autre sur la soirée difficile vécue par Jaurès à la veille du congrès du Parti socialiste français à Saint-Etienne en 1904.
Jean-Michel Steiner et Christophe Tillière nous rappellent la présence de la statue de Jean Jaurès sur la place éponyme face à l’escalier monumental situé à l’arrière de l’hôtel de ville de Saint-Etienne et les différentes querelles liées à son emplacement. Ils nous rapportent la demande tardive de l’Institut d’histoire sociale CGT de la Loire effectuée dans les années 1990 pour rajouter sous le texte de la partie de gauche (« Mort à Paris le 31 juillet 1914 »), la mention : « assassiné ».
« ILS ONT TUÉ JAURÈS »
Jaurès meurt en effet le 31 juillet 1914 assassiné par un nationaliste français. Dès l’annonce de sa mort, les personnes crient « Ils ont tué Jaurès » et le lendemain l’hommage est unanime y compris de la part de ses adversaires politiques de la veille. Le 3 août 1914, l’Allemagne déclare la guerre à la France et Jean Jaurès apparaît comme « l’apôtre » et le « martyr de la paix » pour laquelle « il s’est battu jusqu’à son dernier souffle ».
En conclusion, en l’espace de 20 ans de relations intenses, Jean Jaurès a multiplié les contacts en terre ligérienne à l’occasion « de conférences, de participations à des congrès, d’articles dans la presse locale, de l’inauguration de la bourse du travail stéphanoise. » Gérard Lindeperg et ses historiens contributeurs ont su à travers ce livre nous rappeler l’attachement affectif du grand Jaurès à notre département et son nom demeure toujours ancré dans nos mémoires.
« L’ÉVÉNEMENT LE PLUS MARQUANT EST SANS DOUTE LA GREVE DES MINEURS »
L’ancien député de la Loire Gérard Lindeperg a bien voulu répondre à nos questions sur cet ouvrage :
Quel est l’événement le plus marquant de la présence de Jean Jaurès dans la Loire ?
Gérard Lindeperg : L’événement le plus marquant est sans doute la grève des mineurs décrite par Jean-Michel Steiner. On y voit Jaurès répondre immédiatement à l’appel des mineurs et ne pas les quitter pendant une semaine au moment du nouvel an, sacrifiant vie de famille et célébrations du passage au XXème siècle. Grâce à Jaurès et à la cohésion des mineurs, la grève est un succès en un moment où la lutte syndicale connaît plus d’échecs que de victoires.
Avez-vous prévu un hommage à Jean Jaurès devant sa statue le jour de l’anniversaire de sa mort le 31 juillet 2014 ?
Un programme est en cours de préparation, en liaison avec la ville de Saint-Etienne : exposition, débats, projection de films, spectacle théâtral, animations place Jean-Jaurès en juillet 2014. Il sera prochainement présenté à la presse. L’hommage ne se limite donc pas au 31 juillet 2014.
Avez-vous prévu des dates de dédicace de votre ouvrage ?
Le livre sera signé à l’occasion de la Fête du livre de Saint-Etienne et dans plusieurs librairies dont « L’une et l’autre », rue Pierre Bérard, le mercredi 9 octobre à 18 heures. Les autres dates ne sont pas arrêtées.
CITATIONS
« Le grand Jaurès en qui tant d’hommes plaçaient leur espoir, l’espoir de la paix du monde. »
Louis Aragon, Les cloches de Bâle, 1934
« Jamais homme ne s’est donné plus complètement à une idée, à une cause. Pas un acte, pas une pensée de sa vie n’ont été exceptés de ce don. »
Léon Blum, L’Humanité, 23 mars 1919
Sous la direction de Gérard Lindeperg, Jaurès et la Loire (Editions de Borée). 280 pages. Prix : 21 euros. Préface de l’historien Michel Winnock.
http://www.deboree.com/A-104322-jaures-et-la-loire.aspx